• Les étoiles mortelles

    Un soir d'été, dans l'air harmonieux et doux,
    Dorait les épaisses ramures ;
    Et vous alliez, les doigts rougis du sang des mûres,
    Le long des frênes et des houx.
    O rêveurs innocents, fiers de vos premiers songes,
    Coeurs d'or rendant le même son,
    Vous écoutiez en vous la divine chanson
    Que la vie emplit de mensonges.

    Ravis, la joue en fleur, l'oeil brillant, les pieds nus,
    Parmi les bruyères mouillées
    Vous alliez, sous l'arome attiédi des feuillées,
    Vers les paradis inconnus.
    Et de riches lueurs, comme des bandelettes,
    Palpitaient sur le brouillard bleu,
    Et le souffle du soir berçait leurs bouts en feu
    Dans l'arbre aux masses violettes.
    Puis, en un vol muet, sous les bois recueillis,
    Insensiblement la nuit douce
    Enveloppa, vêtus de leur gaine de mousse,
    Les chênes au fond des taillis.

    Hormis cette rumeur confuse et familière
    Qui monte de l'herbe et de l'eau,
    Tout s'endormit, le vent, le feuillage, l'oiseau,
    Le ciel, le vallon, la clairière.
    Dans le calme des bois, comme un collier divin
    Qui se rompt, les étoiles blanches,
    Du faîte de l'azur, entre les lourdes branches,
    Glissaient, fluides et sans fin.
    Un étang solitaire, en sa nappe profonde
    Et noire, amoncelait sans bruit
    Ce trésor ruisselant des perles de la nuit
    Qui se posaient, claires, sous l'onde.

    Mais un souffle furtif, troublant ces feux épars
    Dans leur ondulation lente,
    Fit pétiller comme une averse étincelante
    Autour des sombres nénuphars.
    Chaque jet s'épandit en courbes radieuses,
    Dont les orbes multipliés
    Allumaient dans les joncs d'un cercle d'or liés
    Des prunelles mystérieuses.
    Le désir vous plongea dans l'abîme enchanté
    Vers ces yeux pleins de douces flammes ;
    Et le bois entendit les ailes de vos âmes
    Frémir au ciel des nuits d'été !

    Charles-Marie LECONTE DE LISLE (1818-1894)