



L'origine du nom Guenièvre vient selon toute vraisemblance du mot gallois « Gwenhwyfar » (ancienne graphie « Gwenhwyvar ») qui signifie « blanc-fantôme ». Dès lors, on peut affirmer que Guenièvre possède un caractère féérique qui lui confère un aspect magique, si ce n'est de l'Autre-monde. Elle n'est pas sans évoquer la bansidh de la mythologie celtique de l'Antiquité. Fille de Léodegan de Carmelide, Guenièvre est avant tout lépouse du roi Arthur. Sa beauté, son éloquence ainsi que le prestige de sa cour font de la reine une figure à la fois prisée par les chevaliers, haïe par ses semblables et confine à la féerie. Célèbre pour sa relation adultère avec Lancelot du Lac, le personnage de Guenièvre est une de ses figures, à linstar dYvain, qui témoignent de lencourtoisement de la légende arthurienne opérée au XIIe siècle. Mais Guenièvre est plus que cela : elle est à la fois la dame courtoise et le graal païen des longs cycles en prose.
La reine du pays de Logres est dabord la dame courtoise pour qui toutes les prouesses saccomplissent : Lancelot, dans Le Chevalier de la Charrette (1176-1181), apparaît comme son amant soumis à ses volontés, au risque de se voir humilié et bafoué dans son honneur. Guenièvre a été enlevée par Méléagant qui la désire. Arthur, roi inactif et passif laisse Gauvain se charger de ramener la reine à la cour. Cest lors de son errance quil rencontre un chevalier anonyme qui savère bientôt être Lancelot du Lac, « le meilleur chevalier au monde. » Lépisode de la charrette est caractéristique de ce dévouement sans faille (ou presque !) du chevalier à sa dame, idéal courtois par excellence : Lancelot, après avoir hésité le temps de deux pas à monter dans la charrette dinfamie menée par un nain, celle des prisonniers, des assassins et autres indignes :
« Sur le moment, le chevalier a poursuivi sa route sans y monter ; il a eu tort, tort davoir honte et de ne pas aussitôt sauter dans la charrette car il le regrettera un jour. Mais Raison, qui soppose à Amour, lui dit de ne pas monter, le retenant de ne pas monter, le retenant et lui enseignant de ne rien faire ni entreprendre qui puisse lui apporter honte ou reproche. Ce nest pas du cur mais de la bouche que vient ce discours, que Raison ose lui tenir. Mais Amour, enfermé dans le cur, lexhorte et linvite à monter tout de suite dans la charrette. Amour le veut alors il y saute ; il na plus peur de la honte, puisque cest lordre et la volonté damour. » (vers 329-380)
Lancelot, devient alors a-social au nom de lamour absolu quil voue à la reine. Celle-ci, lors de sa rencontre avec Lancelot au château de Gorre lui reprochera cette influence de la raison sur la folie passionnelle. Convoitée par Méléagant, Lancelot et, dans une moindre mesure par Gauvain, la reine fait lobjet de toutes les attentions. Elle est, par conséquent, celle qui tient les rênes du pouvoir : par son statut de reine, Guenièvre est la représentation du pouvoir politique dérobé à Arthur : si la cour du roi est lépicentre des vertus courtoises, il est indéniable de voir la reine comme étant véritablement à la tête du pays de Logres, pouvoir officieux certes, mais le plus puissant. Ce trait caractéristique de la reine est exacerbé lorsquau Tournoi de Noauz elle demande à Lancelot, alors méconnaissable sous des armes inconnues, de jouter « au mieux » et « au pire » selon ses volontés. Le chevalier, en amant fidèle et dévoué, ne peut que se soumettre à ses volontés :
« La reine appela sa demoiselle dhonneur et lui dit : allez donc, mademoiselle, prendre votre palefroi. Je vous envoie au chevalier dhier et dites-lui seulement quil doit encore jouter au pire. Et quand vous lui aurez communiqué cet ordre, faites bien attention à sa réponse ! Elle ne perdit pas de temps, car elle avait bien remarqué la veille au soir la direction quil prenait, ne doutant pas quon la renverrait ly trouver. Elle parcourut donc les rangs et finit par trouver notre chevalier. Aussitôt elle alla discrètement lui dire de se battre au pire sil voulait garder lamour et les bonnes grâces de la reine, car cétait son mot dordre. Et lui, puisquelle lordonnait, répondit : Cest très bien ainsi ! »
Amante exigeante, Guenièvre est une amoureuse absolue. Elle est, de fait, la maîtresse tyrannique (tyrannos en grec signifie le maître) de Lancelot : la situation de ce dernier à la cour dArthur est significatif de lemprise de la reine sur lui. En effet, Lancelot ne fait pas partie véritablement de la cour dArthur mais est cependant le plus ferme soutien du roi. Aide auxiliaire, il ne mène pas ses aventures au nom du monarque mais bien au nom de la reine, la seule qui ait le pouvoir de domination sur lui.
Par conséquent, Guenièvre devient au yeux de Lancelot un véritable Graal : le parallèle nest pas inintéressant. Ce qui frappe demblée, cest la posture féerique ou du moins magique de la reine. Elle est la résurgence du « blanc fantôme » des sagas nordiques : la blancheur de son teint et léclat de sa chevelure dor sont à rapprocher de ce fait. À cela sajoute que Guenièvre semble avoir les mêmes caractéristiques que les fées : celles-ci ont pour habitude dapparaître à proximité des lieux aquatiques. Lancelot retrouve le peigne de la reine avec quelques-uns de ses cheveux sur le rebord dune fontaine. En outre, le couple quelle forme avec lui est identique à celui quune fée, telle que Mélusine, forme avec un homme. Celui-ci est généralement en quête lorsquil rencontre une de ces créatures de lAutre-monde. La fée jette son dévolu sur un homme et lui promet son amour total à une seule condition qui, de tous points de vue , est irréalisable. Cette contractualisation du lien amoureux tissé entre le chevalier et la fée illustre cette proportion inadéquate de lhomme et de la femme, de lhumain et du divin, du terrestre et du célestiel. Guenièvre a passé un contrat avec Lancelot identique à celui de Mélusine avec son amant. Ainsi est-elle une figure de lAutre-monde qui donne à la société arthurienne une connotation beaucoup plus spirituelle qui, sans cela, ne serait quun bien pâle reflet de la société du XIIe siècle.
Ainsi, la matière originelle du mythe de Guenièvre a été transformé au cours dun lent processus que lon peut définir en trois étapes : dabord la mise par écrit des légendes nordiques, galloises et bretonnes à la fin du IXe siècle, montrant Guenièvre comme la figure mythique de la souveraineté puis par lencourtoisement des textes au début du XIIe siècle sous limpulsion dAliénor d'Aquitaine et de sa fille Marie de Champagne, pour finir par une christianisation des éléments textuels à lépoque où lÉglise étendait à la fois son pouvoir politique et sa diffusion culturelle. Il est évident que lon peut rapprocher Guenièvre du Saint-Graal. Dabord par la médiation de Lancelot qui voit en son amie une véritable déesse suite à la cristallisation de son amour. Le chevalier lui voue un véritable culte, une liturgie païenne, nhésitant pas à sagenouiller devant elle comme le ferait un vassal devant son seigneur ou le prêtre devant lautel. (cf : Charles Méla, La Reine et le Graal,Paris, le Seuil, 1984) Guenièvre est pour Lancelot ce que le Graal est à Perceval ou à Galaad, cest-à-dire lobjet absolu de la quête chevaleresque. Chaque quête a des traits communs : elle exige ascèse et patience afin de progresser vers un état supérieur : Lancelot doit être parfait pour être digne de sa dame, tout comme Perceval pour devenir le gardien du Graal. Néanmoins, la christianisation de la matière va insérer la caractéristique de la hiérarchie entre les différentes quêtes : celle de Guenièvre est vouée à la sphère terrestre et charnelle tandis que celle du Graal est tournée vers le celestiel, la spiritualité et le divin. Dès lors, cest le signe de la fin et de la lente dégradation que va subir le monde arthurien qui sachève en apothéose dans La Mort le Roi Arthur.
Figure archétypale de la dame courtoise, fée, déesse, Guenièvre est un personnage aux multiples facettes qui illustre le foisonnement de limagination médiévale. Femme idéalisée ou cristallisation fantasmatique des désirs de lhomme, elle est la projection du désir charnel et des aspirations spirituelles.
Source:wikipédia